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Messner Museum

Ils partagent une valeur : le courage. Ensemble, ils surmontent les obstacles. En collaboration avec sa fille, Magdalena, Reinhold Messner dirige 6 musées au Sud-Tyrol.

Mais qui est-il vraiment ?

J’ai rendez-vous avec Reinhold Messner au camp de base. Pas dans l’Himalaya ni en Patagonie. Mais au camp de base qu’il s’est lui-même établi, depuis 2006 : au château Schloss Sigmundskron -surnommé Firmian (Firmiano) - près de Bolzano/Bozen. C’est là, selon lui, que tout converge, là que se met en branle ce qu’il appelle la « machine créative » et là qu’il administre les six musées. Comme souvent, Reinhold Messner porte une chemise noire. Et une chaîne autour du cou, avec une véritable perle Dzi qu’il a achetée au Tibet en 1980. « C’est une perle qu’il faut porter toute sa vie. Le jour où elle se casse, son propriétaire meurt. »

Il est né en 1944. Je lui serre la main, cette main qui a escaladé tous les sommets de plus de 8 000 mètres du monde. Je pense aux rochers qu’il a dû franchir, aux déserts et aux paysages désolés qu’il a dû traverser. Pourtant, ce ne sont pas ses excursions et ses sommets que je compte aborder avec lui aujourd’hui. J’aimerais découvrir une tout autre facette de sa personnalité. Peut-être son côté le plus authentique. 

Être autosuffisant a toujours été essentiel à mes yeux

Il est mince, pas très grand. Mais dès qu’il commence à parler, il occupe tout l’espace. Il semble grandi. C’est ce qui me frappe immédiatement.

M. Messner, il y a 30 ans déjà, en 1983, vous avez acquis le château Schloss Juval. Cherchiez-vous, en l’achetant, à être indépendant ? À vivre en toute autonomie ?

Ça a toujours été essentiel à mes yeux. Être autosuffisant et décider pour moi-même. Le modèle que j’ai recréé à Juval n’est pas de moi. Je voulais que Juval devienne un domaine autonome. Parce que je viens d’un monde où l’on vit en se suffisant à soi-même. Et que j’aime ça.

Aujourd’hui, on peut passer des vacances à la ferme à Oberortl. Mais si une crise grave survenait, il y a suffisamment de place, dans cette ferme, pour les locataires et toute ma famille au sens large : en comptant mes frères, leurs femmes et leurs enfants, nous sommes une bonne cinquantaine de personnes. C’est comme ça qu’on vivait autrefois. Toutes les grandes fermes accueillaient, sous le même toit, plusieurs générations et produisaient ce qu’il leur fallait pour vivre : des céréales, des fruits, du lait, de la viande et du bois. Je sais bien que l’idée d’une vie en complète autarcie est utopique... peut-être un peu romanesque. Mais quoi qu’il en soit, la ferme fait vivre une famille. De génération en génération, on se transmet cette mission d’assurer la subsistance des hommes.

Être en symbiose avec les fermiers de montagne du Sud-Tyrol

Vous avez donc réalisé votre rêve. Le château Schloss Juval, tout en étant la résidence d’été de votre famille, comprend aussi un musée, des fermes et une boutique qui en commercialise les produits. Les locataires des fermes de Juval ne vous paient pas de fermage ?

Reinhold Messner Non. Ils me paient en nature. Et c’est très bien ainsi. Je n’ai pas besoin de percevoir de revenus de ces fermes. Je veux juste qu’elles vivent. Le domaine viticole Unterortl de Juval nous fournit du vin. Un très bon vin, régulièrement récompensé par le Gambero Rosso. Ce qui compte à mes yeux, c’est que les fermiers soient libres de produire et de transformer ce qu’ils veulent, comme il leur semble bon. C’est une décision qu’ils sont seuls à pouvoir prendre. Tout ce que j’exige des fermiers, c’est qu’ils s’occupent d’un certain nombre d’animaux, qu’ils tondent l’herbe et entretiennent le domaine. Ils le font très bien. Je veux continuer à faire vivre la culture paysanne de montagne si propre au Sud-Tyrol (voir aussi le livre « Reinhold Messner - Selbstversorger & Bergbauer » (fermier de montagnes autosuffisant). 

Du fait-maison sur la table

Il y a donc toujours sur votre table quelque chose qui vient du domaine de Juval ? 

(en riant). Absolument De la viande de yack, du speck... Je dois aussi avouer que ma femme s’investit beaucoup dans cette démarche d’autosuffisance. Elle cueille ce dont elle a besoin dans les jardins de Juval, cuisine les légumes et fait des confitures avec les fruits. Quand nous sommes à Meran/Merano (car nous ne vivons à Juval qu’en juillet et en août), nous avons ainsi toujours de bonnes choses à manger. L’auberge traditionnelle de Juval sert aussi des plats préparés avec les ingrédients produits sur place.

Les fermiers sont essentiels pour notre région

Assis à l’ombre, environnés des murs de pierres du château Schloss Sigmundskron, nous nous laissons gagner par la sérénité et le silence de ces lieux. Cachées dans la pierre, parfois à la vue des regards, j’aperçois des images sacrées et des citations que je déchiffre avec intérêt. Bien que l’autoroute passe juste devant le vieux fort, le plus ancien du Sud-Tyrol, je n’entends rien d’autre que le pépiement des oiseaux, les voix des visiteurs du musée et l’hélicoptère de l’hôpital de Bolzano, tout proche. Sous la chevelure poivre et sel de mon interlocuteur, les yeux bleus pétillent. Quand Reinhold Messner commence à raconter, on ne l’arrête plus. Il a tant à dire, tant d’expériences à partager. Sur les questions politiques, il n’a pas peur de prendre position. Il veut faire entendre sa voix, lancer un appel. Il veut que chacun s’arrête un moment pour prendre le temps de la réflexion. Il aime les débats. Il est très cultivé. Mais ce qu’il préfère, c’est l’action.

Si vous lui demandez quel est son métier, il vous dira qu’il est fermier de montagne. C’est ce qu’indiquent ses papiers depuis plus de 30 ans. Reinhold Messner a grandi dans une petite vallée isolée du Sud-Tyrol, dans la région Villnösstal. Son père était l’instituteur du village. Les fermiers et le pouvoir qu’ils détenaient le fascinaient. « Chaque ferme, écrit R. Messner dans son livre « Selbstversorger & Bergbauer », était comme un micro-État à la tête duquel se trouvait le fermier. » En l’écoutant, je m’interroge : est-ce pour cela qu’il a acheté le château Schloss Juval ? Pour être enfin fermier à son tour ?

Sur la route, en venant à Firmian, je réfléchissais à votre parcours : « D’abord alpiniste, puis fermier de montagne. » Vous vous êtes toujours senti chez vous dans la nature, au milieu des montagnes, n’est-ce pas ?

Aujourd’hui, je me définis davantage comme un fermier de montagne que comme un alpiniste. Je ne travaille certes pas tous les jours à la ferme. Je ne vais plus couper du bois : je n’ai plus le temps et je vieillis. Mais ma condition est celle d’un fermier. Je suis, et ai toujours été, attaché au monde paysan et je m’inquiète beaucoup pour l’avenir des fermiers de montagne au Sud-Tyrol. La question du prix du lait me préoccupe énormément. Si le prix du lait baisse en dessous de 0,40 euro du litre, les paysans du Sud-Tyrol ne seront plus en mesure de faire tourner leurs fermes.

Vous répétez souvent que les fermiers sont essentiels pour notre région. Pour toutes les régions.

Absolument. Notre paysage de cultures bien entretenues constitue le cœur du Sud-Tyrol. C’est lui qui donne à notre région une partie de son charme. En nous installant dans les montagnes du Sud-Tyrol pour les exploiter, nous avons découvert un trésor. Il faut le préserver. Les fermiers doivent pouvoir faire leur travail. Il faut les soutenir. Qu’il s’agisse d’installer une piste de ski sur le mont Kronplatz ou de permettre à un fermier de couper son bois pour le vendre, comme cela s’est toujours fait au cours des siècles qui nous ont précédés, l’important c’est d’exploiter la surface cultivée. Ce n’est pas du tout adapté de parler de destruction de la nature dans ce contexte.

Juval est un endroit magique. Il y a quelques années, avec mes enfants, nous avions visité le château : les masques, les fresques, les vieux murs, dans un écrin de nature... c’est tout simplement l’équilibre parfait. J’avais toujours eu envie de rencontrer l’homme qui était derrière tout cela. Je viens de faire la connaissance de sa fille Magdalena qui a quitté son bureau quelques instants, le temps d’un shooting photo. Et me voilà assise à la même table que Reinhold Messner. Une question me brûle les lèvres : est-ce Juval qui est venu à lui ? Ou lui qui est allé à Juval ? Comment ces deux-là se sont-ils rencontrés ?

Le coup de foudre

Comment avez-vous découvert Juval, M. Messner ?

J’ai commencé à chercher en 1978. Je voulais en fait acheter une ferme à Villnöss/Funes, mais la vente ne s’est pas faite. J’ai ensuite visité plusieurs endroits dont je tairai le nom. Je venais de rayer de ma liste un château, dans la vallée Vinschgau, qui était financièrement au-dessus de mes moyens quand, sur le chemin du retour, j’ai vu Juval. Depuis la route. J’avais quelqu’un avec moi dans la voiture qui était originaire de la région. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Avec un geste de dénégation, il m’a répondu : « Rien d’intéressant. »

C’est ce qui vous a donné envie d’aller voir ?

Probablement. Nous sommes montés malgré tout jusque là-haut. La route n’était qu’à moitié carrossable. Nous avons dû faire un bout du chemin à pied. Je suis rentré dans le château par une brèche dans le mur. Toutes les fenêtres étaient condamnées par des planches. Le sol était couvert de broussailles. J’ai regardé dehors et j’ai vu, dans la cour intérieure, des cèdres de l’Himalaya. Alors, j’ai su que j’étais au bon endroit.

Une forme de plan épargne retraite

Je trouve l’histoire touchante. Comme si le château avait été réveillé par un baiser du prince charmant. Reinhold Messner a pu signer le compromis de vente pour Juval. Le vendeur était un monsieur âgé qui a, plus tard, proposé à l’alpiniste de racheter également les fermes autour de Juval. L’ancien propriétaire avait expressément souhaité que Juval reste entre les mains d’une personne originaire du Sud-Tyrol. À l’époque, Reinhold Messner n’avait pas encore quarante ans. Il fait de moins en moins d’expéditions et se préoccupe de plus en plus d’assurer son avenir. Juval était pour lui, une forme de plan épargne retraite. Il est intelligent, ingénieux et persévérant. Des qualités qui me plaisent beaucoup.

Juval, un endroit parfait

Vous avez donc fait de Juval votre premier musée en 1995 ?

En fait, le tout premier était le « Flohhäuschen » un mini-musée à Sulden am Ortler/Solda all’Ortles qui rassemblait quelques curiosités. Juval est venu ensuite. Et régulièrement, je me dis qu’il n’y a pas de plus bel endroit au Sud-Tyrol. C’est un endroit parfait Comme la rénovation du château était particulièrement bien réussie, les autorités ont accepté de me confier également le château Sigmundskron. Un défi que personne n’avait encore relevé. Juval m’avait donné le courage de continuer à travailler sur le thème de la montagne. Entre temps, j’avais commencé à rassembler toutes sortes d’objets au château Schloss Juval et pu constater que je pouvais gérer Juval, même sur le plan financier. Et que j’avais la capacité de rénover un château, en m’entourant évidemment d’architectes compétents et de l’Office des monuments historiques. Naturellement, il faut bien avouer qu’il y a toujours une certaine prise de risques.

Le désir le plus ardent

Vous n’avez jamais reculé devant les obstacles ? Il y en a pourtant eu un certain nombre pendant ces 25 dernières années où vous avez édifié vos musées.

Je n’ai rien contre les obstacles. Les montagnes, par nature, sont des obstacles. Pour Hannibal, les Alpes étaient un obstacle. En fait, je dois reconnaître que mes musées ne sont fascinants que parce qu’il y a eu des obstacles. Pour citer Goethe : « On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les pierres qui entravent le chemin. » Quand j’ai acheté Juval, on accueillait à peine dix touristes dans l’année. Et encore, ils arrivaient là totalement par hasard. Aujourd’hui, nous comptons 50 000 visiteurs par an.

Reinhold Messner a accompli de grandes choses. Ou, pour être plus exact : il a accompli l’incroyable. Tout ce qu’il touche lui réussit, à commencer par Juval. La boutique fermière qui rassemble 80 paysans du Vinschgau en une coopérative, marche très bien. Les fermes Oberortl et Unterortl sont productives. Le château où il vit est parfaitement rénové, de même que les châteaux Schloss Sigmundskron et Schloss Bruneck. C’est un solitaire, un pionnier qui franchit toutes les frontières. Il est tout à la fois conservateur et instigateur de changement. Il aime raconter des histoires. Il n’écrit « plus qu’un livre par an ». Il essaye de ralentir un peu son rythme de vie effréné. Il veut transmettre à l’humanité le sens des responsabilités. Lui montrer qu’elle peut se donner les moyens. Il est toujours différent et toujours semblable à lui-même. Il sait s’adapter et suit pourtant avec constance la voie qu’il s’est lui-même tracée. C’est ce que font tous les alpinistes. C’est ce que font tous les fermiers de montagne. Toute leur vie durant. Un homme comme lui a-t-il encore quelque chose à souhaiter ? Je décide de lui poser la question :

Si vous deviez formuler un souhait, M. Messner, qu’est-ce que ce serait ?

Sa voix se fait douce. Tout ce qui a trait à ses revendications sociales, à son désir de transmission culturelle s’estompe pour laisser place à un vœu très personnel. « Ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma fille Magdalena réussisse à bien gérer les musées. Je sais combien c’est difficile de maintenir ces lieux en vie. »

Texte : Ursula Lüfter
Photos : Alex Filz
Vidéo : Alexander Schiebel
Année de publication : 2016 - Ils font battre le cœur du Sud-Tyrol

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